Voici la première interview d’une longue série à venir. J’ai en effet souhaité donner la parole à des personnalités très inspirantes donc le parcours professionnel me plaît particulièrement et dont je salue la persévérance. Souvent, j’invite ces profils « à se lâcher », à se raconter sans filtre ni frein, et le moins que l’on puisse dire c’est que certains jouent vraiment le jeu avec des interviews très riches (plus de 4300 mots).
Je vais donc scinder ces interviews en deux parties afin de vous permettre de les apprécier à leur juste valeur.
Le 1er profil, vous le connaissez quasi toutes et tous : il s’agit de Jérôme Colombain, le « Monsieur Nouvelles Technologies » de Radio France durant de nombreuses années.
Résumer son portrait en quelques lignes relève du défi tant sa carrière est déjà riche et hors du commun.
Jérôme Colombain est avant tout un journaliste et animateur audiovisuel français, présent sur France Info et 01NetTV.
Il a notamment animé de septembre 1999 à mai 2021 la chronique quotidienne « Nouveau Monde » sur France Info consacrée à l’actualité de l’High Tech dans le monde. Je ne compte plus le nombre de ses chroniques que j’ai pu écouter au fil des ans sur France Info, toujours avec le même plaisir, toujours en apprenant quelque chose de nouveau.
Il est également le cofondateur de la plateforme 01NetTV devenue une chaîne de télévision en 2020.
Avec François Sorel, Jérôme Colombain y présente les émissions 01LIVE Hebdo et 01 drive.
Il est par ailleurs l’auteur de 10 ouvrages sur internet, le numérique, les nouvelles technologies mais aussi 2 d’entre-eux sur le Liban qu’il connaît bien (« Le Liban de A à Z vu par un Français »).
Jérôme Colombain quitte France Info en mai 2021 et crée le podcast « Monde numérique »
« Chaque samedi, le meilleur de l’actu tech qui a du sens, raconté et décrypté par Jérôme Colombain, journaliste spécialiste du numérique. Découvrez les news, les innovations qui changent la vie et des interviews exclusives pour mieux comprendre l’évolution de notre monde numérique. »
Vous pouvez retrouver les anciens épisodes de ce podcast sur son blog www.attitude-techno.fr
Jérôme initie et anime de nombreuses discussions sur tous ces sujets via son compte Twitter @JeromeColombain que je vous recommande de suivre.
Bonjour, Jérôme, tu as aujourd’hui le statut de « l’intervieweur interviewé » :) Peux-tu te présenter ?
Bonjour, Pierre : je suis Jérôme Colombain, journaliste spécialiste du numérique et des technologies. Plus précisément, disons que je suis un journaliste généraliste qui s‘est recentré sur les technologies par passion. J’ai aussi un peu la fibre entrepreneuriale et j’ai développé ces dernières années des activités de production de contenu en vidéo et en audio, comme tu l’as dit.
Quel a été ton parcours professionnel ? Le résumé ci-dessus est-il fidèle à la réalité ou ais-je omis (bien involontairement) d’autres points marquants dans ta carrière ?
Oui, c’est un très bon résumé. J’ai fait l’essentiel de ma carrière à la radio, à Radio France, qui est une maison formidable, hyper pro. J’adore la radio car elle allie la souplesse, la vitesse et l’émotion grâce au pouvoir de la voix. Du point de vue journalistique, la radio permet de traiter les sujets avec plus de profondeur qu’en télé mais avec un rendu plus accessible qu’à l’écrit. Cela dit, j’ai aussi exploré la vidéo et l’écrit en ligne qui sont également des canaux hyper intéressants.
As-tu un mentor ou un modèle ?
Oui, plusieurs même. Lorsque j’étais jeune, j’ai toujours été plus intéressé par l’actualité scientifique et technique que par la politique ou l’économie. J’admirais des journalistes comme Michel Chevalet, à la télé, ou Michel Forgit, sur France Inter, qui arrivaient à vulgariser des sujets complexes sur des thèmes qui m’intéressaient, tels que les fusées ou les télécoms. C’était une actualité positive et qui parlait toujours d’un futur radieux. A l’inverse, les autres sujets me semblaient très inquiétants. Autre figure importante : lors d’un stage au magazine Le Point, j’ai eu la chance de côtoyer le journaliste Daniel Garric, qui était responsable de la page consacrée aux technologies. Il avait un bureau au dernier étage avec plein de gadgets électroniques. C’était un ami intime de Steve Jobs, qui était encore à l’époque un illustre inconnu pour la majorité des gens. Oui, ces gens-là m’ont forgé. Mais, aujourd’hui, je regarde surtout les plus jeunes qui cartonnent dans les médias numériques car ce sont eux qui détiennent les clés de l’avenir.
Peux-tu me donner avant tout ta définition du journalisme tech ? Comment l’idéalises-tu ?
Il est difficile de donner une définition du journalisme tech car c’est un métier relativement nouveau et qui n’a pas fini d’évoluer. Lorsque j’ai commencé, les sujets tournaient surtout autour des nouveaux produits, ordinateurs ou smartphones, qui révolutionnaient les usages. Aujourd’hui, le numérique couvre un champ bien plus large qui englobe des dimensions économiques, politiques ou sociologiques. On parle de plus en plus des problèmes posés par le numérique, comme les effets négatifs des réseaux sociaux, auxquels j’ai d’ailleurs consacré un livre. Le journalisme tech est devenu plus riche et se divise désormais en sous-domaines. Le lien entre tout cela reste cependant la technologie qui nécessite, je pense, un minimum de bagage technique pour pouvoir être appréhendée correctement.
Étais-tu très jeune déjà passionné par la science & la technologie ou est-ce une révélation survenue à un moment clé de ton parcours ?
Oui, c’est vraiment une passion ancienne. J’ai toujours adoré la technologie et les gadgets. Cela me vient sans doute de mon père ingénieur qui achetait toujours les derniers équipements audio et vidéo. Quand j’étais ado, je bricolais des variateurs de lumière et des consoles de jeu vidéo en kit (cela impressionnait beaucoup ma mère, lol). J’ai toujours été fasciné aussi par les moyens de communication. J’ai eu ma période CB (Citizen Band) et j’ai eu la chance de vivre la révolution des radios libres. Mais la grande révélation de ma vie, c’est la découverte de la « micro-informatique », au début des années 80. J’avais 17 ans et je travaillais de temps en temps dans un magasin d’électronique, Tandy Radio Shack, pour gagner de l’argent de poche. Or, cette enseigne a été l’une des premières à commercialiser un micro-ordinateur, le TRS-80. Je n’avais pas les moyens de m’en acheter un mais j’ai commencé à passer tout mon temps libre au magasin pour apprendre à m’en servir.
Je me suis mis à programmer en Basic et j’ai même vendu quelques programmes. Cette rencontre avec l’informatique a été l’expérience la plus décisive de ma vie. J’ai vu naître la révolution numérique. Tous ceux qui ont vécu la même chose savent de quoi je parle. On a compris que l’ordinateur allait servir à faire des milliards de choses et que le monde allait changer en profondeur. Depuis, je n’ai jamais lâché l’informatique. Bien que ce ne soit pas mon métier, j’ai fait des sites Web en PHP et HTML (à une époque où il fallait mettre les mains dans le cambouis pour arriver à quelque chose). Coder est une activité intellectuelle fabuleuse qui fait tourner le cerveau à cent à l’heure. Bref, j’ai toujours été geek. Heureusement, j’avais aussi pas mal de copains et copines.
Qu’est ce qui a déclenché chez toi l’envie de devenir journaliste et comment as-tu procédé ?
Comme je l’ai dit, j’ai eu la chance de vivre une autre révolution : l’explosion des radios libres, dans les années 80. Je me suis immédiatement lancé là-dedans et je suis devenu animateur sur une radio privée à Aix en Provence (Radio Méditerranée Provence). J’étais en Terminale et j’animais notamment une émission « littéraire ». Plus tard, lorsqu’est venu le temps de choisir pour de bon une orientation professionnelle, j’ai vraiment hésité entre mes deux passions, l’informatique et la radio. Je n’avais aucune idée de ce qu’était le journalisme, ce qui me plaisait c’était la communication et la production de contenu. Finalement, j’ai opté pour la communication en me disant que je pourrais poursuivre l’informatique en parallèle, alors que l’inverse ne serait pas forcément possible. Avec le recul, je pense avoir fait le bon choix.
Quelle est la timeline de ta carrière ?
Après une jeunesse assez itinérante (région parisienne, Tahiti, Lille, Aix en Provence), je suis entré à Sciences Po à Aix en Provence. Mais c’était chaud car, à côté, la radio me prenait tout mon temps. Après le service militaire, je suis parti faire une école de journalisme à Bordeaux (IJBA). Là, c’était génial car j’étais vraiment à ma place et ça a bien marché. Fraichement diplômé, j’ai eu la chance d’être embauché quasiment tout de suite à Radio France Bordeaux Gironde (aujourd’hui France Bleu Gironde). Puis, en 1994, je suis venu à Paris, à France Info. J’ai d’abord travaillé comme journaliste polyvalent, tantôt présentateur et tantôt reporter. Je couvrais aussi bien des faits divers que des procès ou des manifestations. Puis, j’ai commencé à tenir en parallèle une chronique hebdomadaire qui s’appelait « Info Informatique ». C’était le premier rendez-vous consacré à l’informatique sur un média généraliste en France, quinze jours avant le lancement du « Cahier multimédia » de Libération.
Puis, une deuxième chronique hebdo baptisée « Info Net ». Jusqu’à ce que le directeur de l’époque, Pascal Delannoy, me permette de lâcher complètement les informations générales pour me spécialiser dans le numérique qui était en plein boom. La chronique est devenue quotidienne. Parallèlement, à partir de 2006, j’ai commencé à faire des podcasts et des vidéos sur YouTube avec mon pote François Sorel, lui aussi journaliste tech, sur RMC à l’époque. C’est ainsi que nous avons créé La Chaîne Techno. Celle-ci a été rachetée en 2013 par le groupe Next Interactive (aujourd’hui filiale du groupe Altice) et est devenue 01TV, une vraie chaîne de télé sur les box consacrée aux technologies.
Enfin, dernièrement, en juin 2021, j’ai quitté France Info, après trente ans de bons et loyaux services, pour devenir journaliste indépendant, consultant et producteur de podcasts. C’est ainsi que j’ai lancé mon propre podcast Monde Numérique. Parallèlement, je poursuis avec François l’aventure 01TV, devenue récemment la chaîne Tech & Co, sur laquelle j’interviens régulièrement comme présentateur en tant que consultant.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées et challenges auxquels tu as dû faire face ?
La difficulté pour parler de tech sur un média généraliste a longtemps été de trouver le bon niveau de langage. Dans les années 1990, on s’adressait à une majorité de gens qui n’y comprenaient rien du tout car ils n’utilisaient ni ordinateurs ni smartphones. On parlait plus d’informatique à la radio comme on parle de jardinage ou de cuisine, c’est-à-dire comme d’un hobby pour passionnés. Puis, il y a eu la première vague des start-up « dot.com ». Cela explosait de tous les côtés. Je croulais sous les sollicitations et je ne savais plus où donner de la tête ni comment aborder les choses. On parlait de révolution économique, de transformation du monde en profondeur. On employait des mots nouveaux comme cyber ou e-démocratie. Il était difficile de garder du recul. C’était à la fois magique et angoissant. En plus, j’étais seul à la rédaction à m’occuper de ça. Il m’a fallu du temps, par exemple, pour comprendre que certaines « innovations » n’étaient que du « bullshit » marketing. Je pense avoir raconté quelques conneries à l’époque, même si j’essayais de travailler le plus honnêtement possible avec l’objectif de faire comprendre au public ce qui était en train de se passer. C’était vraiment une époque de pionniers. C’est d’ailleurs l’une des raisons de mon amitié avec François qui partageait les mêmes états d’âmes que moi.
Comment préparais-tu la rubrique quotidienne de « Nouveau Monde » sur France Info ? Quelle était ton organisation ?
Il y a eu plusieurs périodes. Lorsque ma chronique passait en direct le matin, je la préparais la veille et je la retouchais à l’aube à la dernière minute. Puis, il y a eu l’époque où j’enregistrais ma chronique à l’avance la veille au soir, et donc le travail commençait plus en amont. A la fin, j’étais en direct à la mi-journée, dans le « 12-14 » de Frédéric Carbone. Je travaillais donc la veille sur plusieurs sujets en parallèle, puis je faisais des propositions à la rédaction en chef le matin, et ensuite, une fois qu’on s’était mis d’accord, j’avais la matinée pour finaliser mon intervention en creusant la question. Parallèlement, je devais pouvoir intervenir à tout moment sur un sujet d’actualité en rapport avec ma thématique et il fallait donc que je sois toujours au courant de tout. J’ai longtemps été la vigie de France Info pour la tech. C’était un travail permanent de veille, tous les jours de la semaine, y compris pendant les vacances.
Du coup, j’ai pris l’habitude de noter, jour après jour, toutes les infos ou les idées de sujets qui me passent par la tête (l’appli Notes de mon iPhone est ma meilleure amie). Pendant toute ma carrière, j’ai toujours eu l’obsession d’être le plus exact possible dans le traitement de l’actualité, afin de ne pas décevoir les vrais connaisseurs, mais aussi d’intéresser le plus grand nombre et donc de rendre les sujets attractifs. C’est une sorte de grand écart qui oblige à bien comprendre ce qu’on raconte. A mes débuts, pour me mettre à niveau, je me suis enfilé des tonnes de bouquins d’informatique, y compris des trucs d’administration réseau auxquels je ne comprenais rien, cela a forgé ma culture tech. En ce qui concerne les choix des sujets et la manière de les traiter, j’ai toujours eu une très grande autonomie et une totale liberté à Radio France. Il faut dire que j’avais la chance d’avoir un statut un peu particulier, entre chroniqueur et reporter, et de m’occuper d’une thématique qui a longtemps été assez spécifique pour un média comme France Info
Quels ont été les faits les plus marquants dans l’évolution des technologies que tu commentes depuis le début de ta carrière ?
Il y en a eu beaucoup. J’ai de bons souvenirs de « première fois », comme la première fois où j’ai essayé une tablette tactile, bien longtemps avant l’iPad, ou la première voiture autonome dans laquelle je suis monté, qui ne roulait pas très droit sur un circuit spécial en région parisienne. Mais, surtout, je vois deux événements majeurs. D’abord, sans surprise, l’arrivée de l’iPhone, en 2007, qui a été un vrai point de bascule, car nous sommes passés de l’informatique pure et dure à un nouveau monde mobile connecté accessible à tous. Ensuite, l’autre événement majeur est, à mes yeux, l’affaire Facebook-Cambridge Analytica en 2018. Cela marque le moment où le numérique est réellement devenu un problème pour nos sociétés. Du point de vue journalistique, il a fallu passer d’une actualité purement technique, où on expliquait ce qu’était un disque dur ou un virus informatique, à une actualité beaucoup plus économique et politique avec de vrais enjeux de société à décrypter. C’est absolument passionnant. J’ai passé ma vie à raconter que ces fichues puces électroniques allaient changer le monde, et bien voilà, le monde a changé.
2ème partie
À qui s’adresse principalement « Monde Numérique » en 2022 ? Avez-vous commencé à dresser le profil de vos auditeurs réguliers ?
Monde Numérique s’inscrit dans la continuité de ce que je faisais à France Info. J’essaye d’informer au mieux tous ceux qui s’intéressent aux technologies mais qui ne sont pas forcément des spécialistes. J’évite le jargonnage et l’entre soi au profit du décodage. Je m’efforce, chaque fois que c’est possible, de replacer les infos tech dans un contexte plus global et d’évoquer les questions de fond qui peuvent se poser, mais sans trop me « prendre la tête » pour autant. Ma baseline, c’est « l’actu tech qui a du sens », car je n’ai pas la prétention de traiter toutes les actus mais je préfère sélectionner celles qui me paraissent importantes. Je n’ai pas vraiment établi de persona au sens marketing du terme, mais lorsque j’enregistre Monde Numérique j’essaye d’imaginer un auditeur type et je pense souvent à mon père qui est un auditeur fidèle et me fait souvent des retours intéressants.
Pourquoi avez-vous choisi le format podcast ?
Assez naturellement parce que je viens de la radio et que j’adore l’audio. C’est moins compliqué que la vidéo et plus fun que l’écrit. En plus, le podcast est en plein boom et connaît une deuxième jeunesse, donc j’ai vraiment eu envie de sauter dans le train. C’est incroyable de voir tous les outils techniques disponibles aujourd’hui, alors qu’en 2010 il fallait quasiment tout faire soi-même, jusqu’à paramétrer ses propres serveurs de streaming. Pour dire la vérité, lorsque j’étais à Radio France, j’avais demandé qu’on me laisse faire des podcasts tech, notamment une émission long format, pour sortir de ma routine, mais cela n’a pas été possible. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis parti.
Qu’est-ce qui vous différencie des autres podcasts tech ?
Il y a beaucoup de podcasts tech sur le marché. Certains sont des discussions entre potes qui débriefent l’actu. D’autres émanent de spécialistes qui s’adressent à des spécialistes. J’ai beaucoup réfléchi à la manière de me différencier, à la fois sur le fond et sur la forme, et je suis arrivé à la conclusion que je devais positionner Monde Numérique, d’abord, comme un podcast de journaliste. C’est-à-dire que je rapporte des faits et je porte la parole d’autres personnes, avec deux à trois interviews par épisodes, mais je ne passe pas mon temps à donner mon avis (même si cela m’arrive parfois car j’en ai désormais la liberté). Je donne la parole à des intervenants prestigieux, comme Aurélie Jean, Jean-Marie Cavada ou Cédric O, mais aussi à des experts dans leurs domaines qui sont moins habitués à communiquer. J’essaye de respecter au mieux la pluralité des points de vue, comme j’ai appris à le faire à France Info. Je tente de soigner autant le fond que la forme car je suis très attaché à l’esthétique audio, avec une écriture et un habillage musical. Je m’inspire pour cela, je l’avoue, des podcasts de Radio France qui sont de vrais bijoux. D’ailleurs, ma dernière série d’été « Vous allez tout comprendre », consacrée au décryptage de technologies, a été mise en onde dans cet esprit. En fait, avec Monde Numérique, je tente de créer un produit hybride entre tranche d’information et balade divertissante hebdomadaire. J’avoue que j’ai l’ambition de faire de Monde Numérique un podcast tech de référence.
Quelle est votre organisation pour la réalisation de votre podcast hebdomadaire « Monde numérique », aujourd’hui ?
Comme pour Nouveau Monde auparavant, j’y pense et j’y travaille tout le temps. Je surveille l’actualité tech en permanence, je prends des notes tous les jours, j’essaye de dénicher des angles intéressants et des speakers pertinents, etc. Je réalise mes interviews en fonction de leurs disponibilités, un peu n’importe quand puisque je n’ai pas la contrainte d’une émission en direct. Vers le milieu de la semaine, je commence à écrire les news et les lancements. Finalement, j’enregistre le vendredi. J’essaye de me réserver la journée entière pour cela et c’est vraiment la meilleure journée de ma semaine. C’est un grand moment de bonheur de fabriquer ce produit audio qui n’appartient qu’à moi et de m’adresser à ma communauté comme à des amis.
De manière plus générale, comment organisez-vous votre journée ? Avez-vous des routines de travail ?
J’ai des habitudes de travail tout au long de la semaine mais je suis plutôt du genre anti-routine. J’aime quand les journées ne se ressemblent pas. Je suis Gémeaux et j’ai besoin que ça bouge tout le temps autour de moi. Ce que je recherche en priorité dans le travail, depuis toujours, c’est le plaisir. Le plaisir de la création, des grands projets et des petits changements quotidiens. Je travaille tout le temps, y compris tard le soir ou le week-end. Je ne suis pas du tout du genre à séparer temps de travail et temps de loisir car, pour moi, c’est la même chose. Quand j’ai un moment de libre, je bricole mon site Web ou je vois comment améliorer tel ou tel aspect technique. Je fais des factures aussi, ça c’est nouveau et c’est marrant. Ah ah ! J’ai toujours détesté les open-space collectifs et j’adore le travail à la maison, sans bruit ni sollicitations. Mais je peux travailler n’importe où, à un bureau, sur un canapé, dans un café ou au bord d’une piscine. J’avais déjà adopté ce mode de fonctionnement lorsque j’étais à France Info, bien avant que l’on parle officiellement de télétravail. Pour moi, l’idéal, c’est vraiment le travail hybride, moitié à distance en solitaire et moitié en contact avec d’autres personnes.
Quelle est la croissance de votre rendez-vous numérique ?
Ça marche vraiment bien. J’en suis à plusieurs milliers d’écoutes par numéros et à plusieurs dizaines de milliers d’écoutes par mois, tous épisodes confondus. Chaque nouvel épisode enregistre une audience supérieure à celle de l’épisode précédent, ce qui est un super bon trend. Monde Numérique est maintenant dans le top 3 des Actualités technologiques sur Apple podcast dans plusieurs pays, dont la France évidemment. Je m’étais donné un an pour bâtir une audience avant de commencer à monétiser le podcast et finalement c’est arrivé plus vite que prévu.
Quel est votre modèle économique ?
En fait, je reproduis un peu ce que nous avions mis en place avec François Sorel sur La Chaîne Techno, c’est-à-dire que je noue des partenariats directement avec des entreprises. Je leur offre de la visibilité sous forme de messages host-read (lus par le présentateur), comme cela se pratique aux Etats-Unis depuis des années, et je fais aussi des interviews sponsorisées qui sont intégrées dans les émissions. Évidemment, ces partenariats sont clairement identifiés afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté vis-à-vis des auditeurs. C’est comme un journal qui publie des publirédactionnels à côté de contenus journalistiques purs. Certes, cela oblige à sélectionner des annonceurs réellement en phase avec la ligne éditoriale et les valeurs de Monde Numérique et qui peuvent apporter un vrai contenu informatif. En plus, il y a un deal pour les interviews : je pose toutes les questions que je veux à mes invités, y compris sur les sujets qui peuvent déranger. A l’arrivée, cela donne des contenus assez qualitatifs, je pense. C’est vraiment du win-win. Plusieurs grandes marques m’ont déjà fait confiance, comme EDF, Orange ou le spécialiste de la cybersécurité ESET, et je leur en suis très reconnaissant. Certes, un podcast n’a pas l’audience massive d’une radio ou d’une grosse chaîne YouTube mais il touche une cible très « quali » de décideurs et de consommateurs à haut pouvoir d’achat qui intéressent vraiment les annonceurs. Enfin, j’ai commencé à développer des séries spéciales thématiques qui me paraissent un super levier de partenariats plus ou moins en brand content. J’ai plein d’idées à ce sujet.
Comment est structurée votre entreprise aujourd’hui et combien de personnes travaillent sur ce projet ?
Actuellement, il y a moi, moi et moi. Ah, il y a aussi ma fille qui m’aide pour les réseaux sociaux et le reste de ma famille et les copains pour l’émulation intellectuelle, les idées et le feedback. C’est vraiment un boulot d’artisan et je n’ai pas trop envie de monter une grosse structure car je me sens plus agile comme ça. En fait, j’ai la chance – ou la malchance – de savoir faire à peu près tout moi-même : interviews, montage, mise en ligne, habillage graphique, etc. J’ai beaucoup de mal à déléguer. Pourtant, après plus d’un an, je commence à avoir besoin de me faire aider pour certaines tâches et d’étoffer mon équipe. Il me faudrait des ressources supplémentaires à la fois commerciales, techniques et même journalistiques. Mais pour l’instant, j’avance pas à pas, en bon père de famille.
Quels partenaires clés avez-vous réussi à convaincre pour encadrer et optimiser votre projet ?
Je me suis beaucoup documenté et j’ai beaucoup consulté avant de me lancer. J’ai examiné ce qui se faisait à droite et à gauche pour voir ce qu’on pouvait encore inventer. J’ai écouté des dizaines de podcasts européens ou américains. J’ai pas mal discuté aussi avec des gens comme mon ami le podcasteur québécois Bruno Guglielminetti, car nos parcours se ressemblent beaucoup, ainsi que Matthieu Stefani du podcast « Generation Do It Yourself » ou encore avec mon fidèle ami François Sorel. Ces échanges m’ont instruit mais ensuite je me suis jeté à l’eau tout seul. Ce qui me plaît, aujourd’hui, c’est d’inventer quelque chose d’un peu nouveau, à la croisée des chemins entre le journalisme traditionnel et l’économie de la passion (passion economy). Pour un « vieux » comme moi, biberonné au journalisme de service public, c’est très rafraichissant. Mais je ne veux pas non plus devenir influenceur et je me fixe certaines limites. Aujourd’hui, il est possible d’être son propre média à titre individuel sans faire partie d’une structure, comme Hugo Décrypte qui fait un super boulot en actu auprès des jeunes. Pour revenir à votre question sur les partenariats, j’aimerais éventuellement pouvoir m’appuyer sur un media classique, afin de bénéficier d’une plus large audience, en échange de la fourniture de contenu, mais à condition de pouvoir conserver mon indépendance et ma liberté éditoriale.
Sur quelles évolutions de R&D travaillez-vous ?
R&D est un bien grand mot mais disons que je pense à pas mal d’évolutions possibles. Par exemple, je me demande si je ne devrais pas créer des déclinaisons thématiques de Monde Numérique. Il y a beaucoup à faire. Et puis, mon rêve serait de pouvoir synthétiser ma voix pour pouvoir créer encore plus de podcasts qui se fabriqueraient tout seuls pendant que je partirais bronzer sur une île paradisiaque. Ah ah ! Non, je plaisante, je m’ennuierais bien trop si je faisais ça.
Quels sont vos défis pour le futur et comment voyez-vous évoluer « Monde Numérique » ?
J’avance pas à pas, sans mettre la charrue avant les bœufs ni voir trop grand trop vite. Pour l’instant, ce podcast reste vraiment une petite entreprise artisanale et je crois que c’est ce qui peut contribuer à son succès. Cependant, tout est possible et ce serait mentir de dire que je ne réfléchis pas à certains développements. J’ai été sollicité pour adjoindre au podcast une vraie newsletter. C’est très tentant car j’aime aussi beaucoup écrire, mais je crains que ce soit beaucoup de travail pour une rentabilité incertaine. Mon ambition n’est pas de rivaliser avec les grands médias tech existants. Je me concentre sur l’audio et j’ai mis ma pudeur de côté pour jouer à fond la carte de la personnalisation. On verra bien ce que ça donnera. Comme en radio, je crois beaucoup à la durée comme facteur de succès.
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes qui souhaitent se lancer dans le domaine du journalisme tech ?
Le journalisme tech, c’est d’abord du journalisme et ensuite la passion de la tech. Ou l’inverse. Ce que je veux dire c’est qu’il faut impérativement les deux. Cela dit, il est difficile de prodiguer des conseils car, comme je l’ai dit, il s’agit d’une forme de journalisme assez récente qui est multiforme et qui va continuer à évoluer. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de rapport entre faire des tests de produits et couvrir les affaires des GAFAM ou les problèmes de souveraineté numérique. Il n’y a que des vieux de la vieille comme moi pour faire encore le grand écart entre tout ça. Pour traiter certains sujets liés au numérique, il n’est même plus nécessaire d’être vraiment calé en technique, même si ça aide. D’une manière générale, j’aurais tendance à penser qu’il est bon de pratiquer d’abord le journalisme généraliste, avant de se spécialiser dans un domaine quel qu’il soit. Enfin, il faut savoir pourquoi on fait ce métier. Personnellement, je ne pratique pas du tout un journalisme de combat pour une cause ou pour une autre. Je ne suis pas militant et je n’ai pas d’idéologie à diffuser. Je me contente d’être un passeur d’informations. Mon but est de faire du lien entre les gens pour les aider à comprendre des sujets parfois complexes, en essayant de respecter les nuances car rien n’est tout blanc ou tout noir. Pour faire ce job, je pense qu’il faut surtout de la curiosité et un peu d’esprit critique, mais sans parti pris. En tout cas, c’est un métier fantastique où l’on passe son temps à apprendre.
Merci beaucoup pour cette interview très enrichissante
Merci à toi pour ton témoignage, Jérôme, j’ai le plaisir de te suivre à nouveau dans ta nouvelle aventure, et je te souhaite beaucoup de succès à nouveau
Merci pour vos partages et interactions sur ce blog ou comptes réseaux sociaux.
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