Simplon, fondée par Frédéric Bardeau, est une start-up hyper dynamique proposant des formations aux nombreux métiers techniques du numérique dans tout l’hexagone mais aussi à l’international. (développement web, réseaux, IA, etc. ). Simplon se définit comme une fabrique sociale et solidaire de développeurs et d’entrepreneurs digitaux. A l’origine de cette belle entreprise à forte vocation sociale, un homme pour qui j’éprouve un profond respect et une franche admiration : Frédéric Bardeau.
J’ai découvert la division Océan indien de Simplon en 2017 lorsque je vivais sur l’île de la Réunion, et le dynamisme de cette structure m’a franchement donné envie de creuser le sujet. Je me suis alors intéressé au parcours de Frédéric et suivi son actualité très dense (Simplon est une structure hyperactive), mois après mois, années après années. A la reprise en main de mon blog, fin septembre dernier, j’ai dressé la liste des personnes que j’avais vraiment envie d’interviewer, celles qui m’inspirent, véhiculent de belles valeurs et des messages porteurs de sens. Très rapidement le nom de Frédéric et de son entreprise Simplon me vinrent en tête. J’ai alors pris contact via Twitter et reçu un accord instantané. Mais là où Frédéric m’a vraiment bluffé c’est quand, un récent dimanche après-midi, je lui envoie mon long questionnaire par mail en lui demandant une date approximative de retour. Il me répond quelques heures après avec un clin d’oeil: « voici mes réponses » . Il m’a fait un « one shot » pour Simplon un dimanche après midi avec quelques 5000 mots…. Quand vous lirez son interview, vous comprendrez mieux pourquoi ;-)
– Rencontre –
Bonjour, Frédéric, pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour, Pierre. Je suis Frédéric Bardeau, j’ai 48 ans et 5 enfants, je suis entrepreneur social récidiviste depuis 15 ans et geek engagé depuis 25 ans, j’ai passé le plus clair de mon temps à démocratiser la technologie auprès des organisations publiques, privées mais engagées (RSE, développement durable) ou d’intérêt général (associations, fondations, ESS via l’Agence LIMITE), ou directement auprès des individus qui ont le plus besoin de compétences et d’emploi via des actions de formation et d’insertion professionnelles (Simplon). Je partage ma vie entre Paris, Carcassonne et les différents pays où Simplon est présent (donc mon bilan carbone est pourri car on est présents en Afrique, au Moyen Orient, en Asie, etc).
J’ai récemment lu que vous vous souveniez très bien de la 1ère fois où vous vous êtes connecté à internet, et que depuis ce jour l’accès au numérique pour chacun est devenu une obsession pour vous. Pouvez-vous me raconter ?
J’étais stagiaire dans une agence de communication et le seul Mac connecté à Internet de toute la boite était dans le bureau du stagiaire avec la photocopieuse. Je ne m’étais jamais vraiment connecté à Internet avant ce 3 septembre 1997 et donc j’ai attendu la pause méridienne et je me suis jeté sur l’ordinateur et là j’ai été foudroyé par la puissance potentielle de ce qui se passait sur les réseaux et j’ai décidé que je passerais maintenant le plus clair de mon temps à explorer, faire découvrir et utiliser les Internets pour mon édification personnelle et pour m’aider professionnellement à faire converger mes activités et mes convictions. Assez rapidement, je suis devenu aux yeux des autres un « expert » (alors que j’étais juste plus passionné donc plus sachant) et c’est devenu ma 2ème spécialité professionnelle fonctionnelle (stratégie, marketing et communication digitales) en complément de ma spécialité sectorielle (les organisations/problématiques caritatives, solidaires, RSE, publiques…). C’est à ce moment que je découvre aussi la face cachée des réseaux, l’anonymat, les hackers, le darknet et la pornographie…
Quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai longtemps cherché ma voie. Des études de sciences politiques et d’intelligence économique/de défense m’ont conduit d’abord à travailler dans le monde de l’armée et du renseignement (Saint Cyr, Ecoles des Troupes Aéroportées, concours de la DGSE, mission militaire de coopération du Ministère de la coopération, GIAT Industries, Eurosatory, puis dans l’univers de la publicité et de la communication (DDB, Publicis, Weber Shandwick), puis de la communication responsable et l’économie sociale et solidaire (freelance spécialisé sur ces questions puis co-création de l’Agence LIMITE), et enfin dans le monde de la formation/de l’éducation (co-fondation et passage à l’échelle de Simplon). La question de l’engagement et de l’impact social est le fil rouge de mon parcours, les modalités, les secteurs et les expériences importent peu pour moi, l’important c’est que mon travail ait du sens, que je puisse le développer et le transformer rapidement (d’où le fait que j’ai été très peu longtemps et peu souvent salarié) et c’est également un tropisme familial car ma femme est médecin, gériatre, passionnée d’humanitaire…
Avez-vous un mentor ou un modèle ?
Oui, j’en ai plein. J’ai des figures tutélaires qui ont guidé mon parcours professionnel depuis le début avec des gens comme Laurent Terrisse, Agnès Lamoureux, Isabelle Karastamatis… des gens comme Jacques Attali aussi dans une certaine mesure avec qui j’ai travaillé en 2000 et François Durollet mon ancien DG à Simplon, des coachs qui m’aident régulièrement comme Olivier Camino le patron de Sitel, des fellows Ashoka ou des figures de l’ESS comme Marie Trellu, Rodrigo Baggio, Christophe Dunand ou Jean Marc Borello, des entreprises et entrepreneurs de la Tech ou de l’impact (Thierry Delaporte ex Capgemini maintenant Wipro mais aussi l’ONG LP4Y avec son frère et Lucie Taurines , Olivier Mathiot et Pascal Lorne, les « GAFAM » même si j’aime pas cet acronyme qui mélange des organisations très différentes type Patagonia ou Alenvi…).
Qu’est ce qui a généré l’envie de créer Simplon et comment avez-vous procédé ?
Ce qui est drôle c’est que Simplon n’est pas mon idée et ça n’est devenu depuis 10 ans le principal investissement de ma vie que parce que les 2 personnes qui ont inventé ce projet incroyable sont venus m’en parler pour me demander ce que j’en pensais. Bien sûr j’étais déjà un geek engagé et j’avais publié 2 ans avant avec Nicolas Danet (qui est aussi un de mes modèle) le premier livre en français sur Anonymous, bien sûr que j’étais déjà passionné par la transmission et l’éducation car j’enseignais au CELSA où j’ai d’ailleurs rencontré mes 2 co-fondateurs à Simplon, mais l’envie et la volonté d’adapter le modèle « tech bootcamp » qui s’est développé aux USA à la France : ça n’est pas moi qui l’ai eue. En revanche, c’est moi qui lui ai donné une architecture juridique et fiscale, qui l’a fait sortir de terre et qui la dirige depuis maintenant 10 ans, les autres cofondateurs ont quitté le projet assez rapidement pour certains et en 2017 pour l’autre.
Que signifie Simplon et pourquoi ce nom ?
Au début c’était un nom de code en forme de « joke », à l’époque en 2013 c’était Silicon Sentier qui faisait la pluie et le beau temps sur l’écosystème numérique à Paris, et les cofondateurs trouvaient que tout cela était super mais que ça manquait cruellement de diversité, et comme les premières réunions opérationnelles pour parler du projet se déroulaient rue du Simplon dans le 18ème dans un quartier entre très « mixte » du Nord de Paris, l’habitude a été prise de dire qu’on allait « à Simplon » parler du projet, puis c’est devenu le « projet Simplon » voire « Silicon Simplon » en forme de pied de nez. Et quand il a fallu choisir un nom pour déposer les statuts, le plus facile a été d’officialiser le nom de code en dénomination sociale. Mais la marque était déjà archi-déposée (entreprise de transport en bus, constructeur de vélo, entreprises localisées près du tunnel/col du Simplon entre la Suisse et l’Italie, etc), le nom de domaine en « .com » déjà pris et donc nous avons cherché quel était le nom de domaine qui était encore dispo (c’était le cas du « .co ») et on a déposé une marque qui comprend le nom de domaine : Simplon.co était juridiquement né !
Pouvez-vous me donner votre vision idéale de l’accès au numérique en 2022 ?
Pour nous le numérique est une solution à plein de chose et un catalyseur de « progrès » incontestable… mais c’est aussi un problème, une partie du problème écologique, des impacts négatifs : c’est ce que Bernard Stiegler a désigné comme le « pharmakon », à la fois remède et poison. Donc loin d’être des techno-solutionnistes ou des techno-béats, nous sommes des techno-enthousiastes et des geeks engagés pour un numérique d’intérêt général, et des militants qui défendent la centralité de la lutte contre toutes les fractures numériques, l’inclusion et la diversité, le numérique responsable, etc. Face à l’illettrisme numérique, à la consanguinité forte du monde du numérique et aux dérivés politiques ou économiques et sociales des usages numériques, nous pensons que les leviers de l’éducation et la formation doivent être conjugués à la sobriété et à responsabilité pour que le numérique reste plus une solution qu’un problème.
Jusqu’ici quelles ont été les principales difficultés rencontrées et challenges auxquels vous avez dû faire face ?
J’ai pas assez de caractères pour le décrire (lol) tant le modèle économique de l’économie sociale et solidaire que nous déployons avec ambition et hypercroissance depuis 10 ans est instable : chez nous tout est gratuit, nos publics sont éloignés de l’emploi, nos écoles dans des territoires fragiles, nos revenus issus de subventions et de financements très complexes, notre activité très régulée et auditée, nos partenaires sont extrêmement exigeants que ce soit les entreprises employeuses de nos apprenant.tes ou les « GAFAM » avec qui nous travaillons, etc. Autre point critique dans notre modèle : nous ne voulons pas que nos formateurs et nos formatrices soient des professionnel.les de la formation mais des experts des métiers auxquels ont forme : nous cherchons donc à les recruter ou à contractualiser avec eux pour qu’ils transmettent leurs compétences à nos apprenant.es et iels sont rares et chers, ce qui est une de nos difficultés principales. Mais nous avons également du mal à trouver et à convaincre les personnes éloignées de l’emploi de rejoindre nos formations tout comme nous avons du mal à trouver des entreprises réellement prêtes à embaucher des profils atypiques alors qu’elles cherchent plutôt des moutons à 5 pattes ultra diplômés et autonomes. Notre hypercroissance tous azimuts (France et international, formation de demandeurs d’emplois et de salariés en manque d’employabilité, des métiers du développement aux métiers de la data, du Cloud, de l’IA, de la cyber, du Web3 et du métavers…).
Quelle va être la timeline de la suite de votre projet ?
Nous allons continuer à nous structurer et à travailler à une croissance plus rentable, c’est ça la priorité des priorités, l’idée étant de continuer à augmenter et à pérenniser l’impact social de Simplon mais en le rendant profitable et sans que cela amène à « grossir » car nous sommes déjà très nombreux et très déployés. Ceci étant, la couverture géographique notamment à l’international, les métiers techniques numériques couverts et les publics visés par Simplon ont vocation à s’étendre en lien avec des stratégies de partenariat, en collaboration forte avec les Etats et les collectivités, les entreprises de la tech et les secteurs économiques employant massivement des profils tech.
Quels sont les différents services proposés à vos clients ? Quels sont leur profils type ?
Nous avons plusieurs « clients » et tous ne payent pas ;-) Les apprenant.es qui bénéficient de nos formations qui sont de qualité, certifiantes et professionnalisantes ne payent pas mais c’est pour eux que nous nous levons tous le matin : demandeurs d’emploi, décrocheurs scolaires, réfugiés ou personnes en situation de handicap, salariés illettrés du numérique ou en risque de perte d’employabilité, cols bleus ou professionnels manquant des compétences numérique de base… Le portrait robot typique du Simplonien ou de la Simplonienne n’existe pas, tous les âges, genres, niveaux de qualification, statuts sont bienvenus. Les entreprises qui fournissent à nos apprenant.es leur autonomie économique et un cadre d’épanouissement professionnel et personnel sont nos parties prenantes au quotidien car elles cherchent des compétences, veulent contribuer positivement à leurs écosystèmes, soutenir des projets à impact et mener une transformation numérique inclusive et responsable. Enfin, les donneurs d’ordres et les financeurs de nos actions sont une priorité pour nous, ce qu’ils soient des Etats, des Régions, des bailleurs (Union européenne, Banque Africaine de Développement, AFD, GIZ, etc), des branches professionnelles, des fondations, les OPCO ou des acteurs comme Pôle Emploi en France. Nous leur devons des formations de qualité, du reporting, de l’innovation, des actions « industrielles » : ils sont nos partenaires clés.
Qu’est ce qui différencie vraiment Simplon de ses principaux concurrents et quels sont les principaux, d’ailleurs ?
Nous faisons partie de grandes familles (les organismes de formation et les « bootcamps ») qui sont à la fois nos concurrents mais aussi (et surtout) nos partenaires et nos compléments dans les luttes que nous menons. Souvent on nous opposé à 42, ou au Wagon, ou à des écoles d’ingénieurs, ou à l’AFPA mais c’est pas notre sujet : nous les connaissons bien et travaillons avec eux, il y a de la place pour tout le monde, ces acteurs sont tous très différents et donc utiles. Simplon est véritablement très singulier : la gratuité, l’inclusion forte (personne ne forme autant de publics éloignés et de femmes que nous au numérique), le déploiement France et international, la notoriété de la marque, la pédagogie active et ses modalités opérationnelles (présentiel ou synchrone, primauté des mises en situation, formateurs experts, Simplonline), notre Studio composé d’ingénieurs pédagogiques qui créée des certifications et adapte nos pratiques sur le terrain, la présence de la Simplon Foundation et notre contribution forte à l’écosystème de l’ESS… ce ne sont pas les éléments spécifiques à Simplon.
Comment les besoins de vos clients ont-ils évolué depuis ces 2 dernières années ?
Toujours plus de profils de plus en plus experts, de nouvelles compétences et de nouveaux métiers, de nouvelles modalités pédagogiques adaptées au contexte post-pandémie VUCA qui est le nôtre au niveau mondial pour ce qui concerne les entreprises… toujours plus de travail (sourcing, formation, placement, veille) pour des prix identiques ou en baisse en ce qui concerne les financeurs… toujours plus de qualité de service pour nos apprenant.es… toujours plus de concurrents… les challenges sont quotidiens, structurels et grandissants pour nos équipes sur le terrain. Nous nous adoptons depuis le début et nous sommes très agiles car nous sommes à l’interface entre une offre et une demande, dans le monde de la formation, on nous traite « d’adéquationnistes » car nous faisons le « match » entre les métiers en tension et les personnes en recherche d’emploi ce qui nous place en écoute permanente des besoins des entreprises. C’est « by design » une fonction clé de Simplon : veille, analyse du travail, exploration, adaptation…
Quelle est la répartition géographique de vos principaux clients, aujourd’hui ?
Le gros de notre activité est en France dans les quartiers populaires, les zones rurales et sans oublier l’Outre mer où nous faisons des choses incroyables avec le Service Militaire Adapté (SMA) mais l’international est une de nos activités les plus en croissance : Europe, Moyen Orient, Afrique, Amérique du Sud, Asie… Nos clients sont souvent très liés à nos territoires d’implantation : les écoles Simplon sont des « produits locaux » quasiment en circuit court puisque nous formons des demandeurs d’emploi du coin, pour les former dans le coin afin qu’ils soient embauchés dans des entreprises du coin. Pour autant, nos principaux partenaires stratégiques sont des multinationales d’abord parce que les technologies et les usages sont multinationales et transfrontalières (d’où nos accords et notre proximité avec les leaders que sont Microsoft, Apple, Meta, Amazon Web Services, Binance…) mais aussi parce que les plus gros recruteurs de profils tech sont des multinationales (entreprises de service numérique, secteur banque et assurance, CAC40…).
Pourquoi avoir choisi la France pour y créer Simplon ?
Le projet est français, voire « made in Région Ile de France » et particulièrement « made in Seine Saint Denis », car nous sommes des geeks français et que nous voulions démontrer le potentiel d’impact social de Simplon avant tout en France, en région parisienne et dans le 93. Ensuite, notre vision a été très claire dès le début : répliquer l’expérience originelle réalisée à Montreuil (qui reste le siège et le lieu de formation emblématique de Simplon) partout en France et partout dans le monde. C’est pour cette raison que nous avons démarré un mécanisme de « franchise sociale » dès 2014/15 à l’international (Roumanie, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud) et dans les territoires français (92, Marseille, Drôme, Nord, La Réunion…). Sur le fond, nous portons donc la vision français et européenne du numérique à l’international.
La France est régulièrement citée comme étant en retard ou trop lente dans sa stratégie de l’accès au numérique pour tous. Quelle est votre analyse de cette situation et comment pourriez-vous intervenir ?
Nous avons un complexe d’infériorité et un syndrome de l’imposteur très fort en France mais nos atouts sont incroyables (qualité de la main d’oeuvre – il y a des Français derrière toutes les innovations technologiques mondiales et toutes les bug tech sont implantées en France pour leur R&D, notre filière image/jeux vidéo, écosystème de soutien à l’innovation, etc) et notre capacité de rattrapage très forte (exemples : l’éducation au numérique en milieu scolaire, la création de licornes, les pur players Web3, etc). Le souci principal à mon avis est que l’Etat est très présent mais pas forcément toujours au bon endroit sur les questions de technologie (fantasmes de cloud ou de métavers souverain, hypocrisie avec les GAFAM, écosystème startup/scaleup peu inclusif, etc), que la France est un marché important mais pas la bonne maille pour passer à l’échelle (l’Europe oui mais l’harmonisation n’existe pas) et que les acteurs tech locaux sont trop franco-français soit dans leur dépendance aux subventions, soit dans leur défiance vis-à-vis de l’Etat.
Si vous étiez nommé ministre ou secrétaire d’état du numérique en France, quels seraient les principaux points de votre stratégie ? (question subsidiaire vous a t’on déjà consulté pour ce poste ? ;-)
Je n’ai jamais été approché pour ce poste et jamais de la vie je ne pourrais considérer sérieusement de m’impliquer en politique. Nous avons des relations avec toutes les strates politiques françaises et aussi dans les Etats dans lesquels nous intervenons mais aucune activité partisane et une neutralité forte qui nous permet de travailler avec tous les bords politiques. Nous avons des idées et des propositions que nous formulons régulièrement sous la forme de tribunes, de notes blanches ou de réunions de travail mais je ne pourrais pas « me mettre à la place » ou « prendre la place » ni même imaginer des propositions « du point de vue d’un décideur politique » car les variables de l’équation ne sont pas uniquement liée à l’intérêt général et au numérique.
J’ai lu récemment que lorsque vous évoquez votre parcours entrepreneurial, vous précisez sans détour les erreurs de choix que vous auriez pu commettre (qui n’en commet pas ?), tout en les assumant . Quelles sont ces principales erreurs qui ont pu vous permettre de recentrer votre stratégie pour devenir encore plus performant ?
En matière pédagogique comme dans l’entrepreneuriat, l’échec est le fondement nécessaire et la base de l’apprentissage et donc du progrès. C’est pour cela que je n’ai aucun mal à partager nos « fails », au contraire car c’est plus intéressant que les succès, que le modèle de développement de Simplon assume les erreurs dans les expérimentations que nous menons mais aussi une certaine forme de « dispersion » car c’est une forme d’innovation par la sérendipité et d’exploration des nouveaux leviers d’impact que nous avons trouvés « en nous trompant ».
Deux ans à peine après une première levée de fonds de 4,75 millions d’euros, Simplon.co a levé 12 millions d’euros auprès de son pool d’investisseurs de l’Économie sociale et solidaire (ESS) afin de poursuivre sa croissance de son impact social en France et à l’international.
Quelle a été votre stratégie pour réussir cette opération ? A quelle hauteur est valorisée aujourd’hui votre entreprise ?
En 10 ans, nous avons levé plus de 20 millions d’euros en dette, en quasi-fonds propres et « en equity » et je dois dire que ça a été plutôt facile car nous sommes un projet emblématique dans le secteur, ancré sur des sous jacents puissants (la transformation numérique) et incontestablement efficace en terme d’impact. Mais cet argent, nous l’avons sollicité et obtenu autant pour de bonnes (financement de notre croissance) que de mauvaises raisons (pertes d’exploitation, crises de trésorerie) et donc là encore nous n’avons aucune fierté particulière à l’avoir fait comme on peut le voir dans le monde des startups, et nous sommes d’autant plus humbles et responsables vis-à-vis de ce financement qu’il est composé d’argent « sacré » (issus de l’épargne salariale solidaire des Français, de l’Etat, de souscripteurs engagés) car il émane d’investisseurs de l’économie sociale et solidaire et non du secteur du « private equity » classique. Pour notre valorisation, c’est un peu le même schéma : nous avons dû valoriser Simplon à chacune de ces opérations mais les critères et les niveaux de valorisation ont été très spécifiques au secteur de l’ESS et de la formation professionnelle, et très différents selon l’histoire de Simplon (un peu au début, beaucoup au milieu, pas beaucoup quand on a eu des soucis, etc). En tous cas personne à Simplon, et moi le premier, n’est là pour faire une plus-value patrimoniale et de toute façon très peu de personnes physiques, en dehors de nos investisseurs, ne sont directement intéressées à la valorisation de Simplon. L’alignement vient d’ailleurs.
Quelles sont les certifications nationales/internationales que vous avez reçues à ce jour ?
Nous avons été et nous sommes multiplement récompensés et labellisés : Grand prix de l’innovation de la Ville de Paris, la France s’Engage, Ashoka, EPIC, Antropia, Entrepreneur social de l’année du BCG… et nous avons également la labellisation French Tech et « Grande Ecole du Numérique » pour nos activités d’impact social dans la formation au numérique. Côté statuts, nous sommes depuis la promulgation de la loi de juillet 2014 sur l’ESS une « Entreprise Sociale d’Utilité Solidaire » (ESUS) mais très rapidement nous avons voulu aller plus loin que ces engagements statutaires pour monter en gamme côté RSE car l’ESS ne suffit pas. D’où notre labellsation Lucie/ISO 26000, notre adhésion au Global Compact et notre certification récente « Ecovadis niveau Bronze ». Cela vient s’ajouter à nos agréments métiers de type « licence to operate » en tant qu’organisme de formation et la certification Qualiopi… La formation professionnelle est un monde très régulé, nous sommes tout le temps audités par nos financeurs. C’est bien normal et ça nous pousse à être toujours plus performants et je dois dire que notre équipe Qualité et RSE (car nous pensons que les 2 démarches sont convergentes) est super importante et super à la pointe.
Comment est structuré Simplon, aujourd’hui et combien de personnes travaillent à vos côtés sur ce projet ?
Nous sommes un peu plus de 200 permanents et 100 formateur.trices externes. Les « profils pédago » sont majoritaires bien entendu si on englobe nos équipes d’accompagnement social et professionnel, mais les fonctions supports, dont la recherche de financements, sont très importantes en nombre et sur le fond. L’organisation de Simplon est très territorialisée et décentralisée : par pays bien sûr mais aussi par régions, puis par « fabrique » (le nom que nous donnons à nos écoles). Au vu de mon profil très entrepreneurial et très « développeur » (pas informatique lol, mais tournée vers les nouveaux projets, la recherche des partenaires, etc), il a fallu très vite recruter des cadres dirigeants de haut niveau en central (RH, Finances, Qualité, etc) et dans les territoires où nous sommes organisés en « Impact Unit Territoriales » (pas de business units chez nous). Ces profils « capés » et très engagés sont la colonne vertébrale de Simplon autour d’organes de Gouvernance clés (Comex, CODIR, CODIR élargi) et ils-elles fournissent aux équipes de terrain le cadre et les moyens pour qu’ils-elles puissent travailler dans les meilleurs conditions auprès de nos apprenant-es et partenaires. Le CSE est également très important, de même que le Conseil des parties prenantes qui réunit 1 à 2 fois par an nos partenaires externes dont des représentants des alumni de nos formations.
Quels partenaires clés avez-vous réussi à convaincre pour encadrer et optimiser votre offre ?
Les financeurs publics, privés et philanthropiques, les employeurs et les big tech sont nos principaux partenaires. Leur convergence au service de notre mission est aussi vertueuse qu’indispensable dans notre activité. Nous sommes souvent challengés en interne et en externe car Simplon travaille avec tout le monde, y compris avec des organisations qui sont décriées pour certains de leurs comportements. C’est le cas des grandes fondations des grandes entreprises du CAC40 dans les énergies et la banque mais également des grandes entreprises américaines du numérique. Nos discussions éthiques en interne sont sans fin mais elles sont très saines. Nous arrivons toujours à la conclusion qu’il faut avant tout regarder ce qu’on fait concrètement, comment on le fait, avec qui on le fait (les personnes qui sont nos interlocuteurs et non pas « l’organisation »), se poser la question de « qui instrumentalise qui » au final et des choses qu’on nous « impose » et qu’on ne veut pas se laisser imposer. En faisant ce travail, nous avons clairement un sentiment partagé entre toute l’équipe que nous faisons des choses bien et bonnes et que nos partenaires sont un leviers déterminants pour cela, ce d’autant plus que nous les « mélangeons ». Les fonds philanthropiques se mixent avec du Programme d’Investissement dans les Compétences (PIC) 100% inclusion, l’argent et les technologies des « Big Tech » s’articulent avec les fonds de Pôle Emploi, des OPCO et des Régions et les titres RNCP agnostiques, les uns ne pourraient rien sans les autres et nous avons donc une liberté totale.
Sur quelles évolutions de R&D travaillez-vous ?
Les nouveaux métiers (Web3 et métavers), les nouvelles modalités pédagogiques (Actions de Formation en Situation de Travail appelé dans notre jargon « AFEST ») et les nouveaux publics plus complexes à toucher (handicap, femmes avec enfants sans solution de garde, étudiants, neurodiversité, salariés et indépendants). Notre Studio pédagogique – environ 10 personnes à plein temps – concentre notre R&D pédagogique mais l’innovation est partout à Simplon, dans les territoires en France, dans les filiales en Afrique, au niveau des équipes d’insertion, de sourcing et bien entendu avec nos partenaires. Qui aurait cru que 30% de l’impact de Simplon proviendrait de nos programmes en partenariat avec Microsoft, Meta, Apple ? Qui aurait cru que l’on formerait 12% de personnes réfugiées et 40% de femmes alors que ces programmes sont nés de l’implication et de l’engagement de personnes de l’équipe qui ont fait de la R&D interne et trouvé des partenaires pour les soutenir ? Je pense que cela va continuer de plus belle à l’avenir et c’est une bonne nouvelle.
Quels sont vos défis pour le futur et comment voyez-vous évoluer Simplon ?Retrouver une rentabilité durable, grandir sans grossir, maintenir la mission sociale et améliorer le bien-être de nos équipes, c’est ça ma priorité et c’est notre agenda. On y parviendra soit seuls avec des partenaires stratégiques et des partenaires financiers, soit en se rapprochant d’autres acteurs complémentaires, l’avenir le dira. Nos investisseurs ESS (fonds d’épargne salariale solidaire géré par Amundi, la Caisse des Dépôts, France Active, Phitrust, INCO, Abeille Impact ex Aviva Impact, le Crédit Coopératif et Mirova) nous soutiennent deuis 2017 et nous ont refinancés de nombreuses fois, c’est une chance inouie d’avoir des gens comme ça à nos côtés, alignés entre eux et avec nous sur l’impact social maximal. J’espère que nous allons continuer à avoir des partenaires comme eux pour la suite. L’international est un relais de croissance très très puissant pour Simplon car il est paradoxalement plus facile d’être à fort impact et rentable à l’étranger qu’en France où le marché est saturé d’offres « concurrentes » de plus ou moins bonne qualité, et où il est très difficile de se concentrer sur les publics les plus éloignés quand on est pas focalisé sur les métiers de l’insertion par l’activité économique, dits à tâches unitaires ou à moindre valeur ajoutée, ce qui n’est pas le cas des métiers du numérique qui démarrent niveau Bac et Bac+2 et où un Bac+3 fait figure de minimum minimorum. Donc l’avenir de Simplon je le vois florissant et croissant en terme d’impact, notamment à l’international, en continuité de ce qui se passe depuis 2013 (Simplon va fêter ses 10 ans en 2023 !), mais plus rentable et donc plus pérenne et moins « gourmand » en recapitalisations.
Comment organisez-vous votre journée, Frédéric ? Avez-vous des routines de travail ?
J’ai 5 enfants et une femme dont je suis fou amoureux mais je suis un workaholic qui travaille entre 70 et 90h par semaine avec peu de congés. J’ai une hygiène de vie et un environnement personnel qui m’empêchent de me « mettre dans le rouge » : je me couche tôt (avant mes enfants) et je me lève très tôt, je suis super organisé et productif avec des routines très ancrées et des outils rôdés (to do listes, automatisations, agenda super maîtrisé, etc). Je l’ai d’ailleurs partagé sur un podcast qui a été pas mal écouté ici. La matrice d’Eisenhower est ma meilleure amie et cela me permet d’être toujours disponible pour mes équipes et pour répondre aux nombreuses sollicitations que j’ai au travers des réseaux sociaux, de mes investisseurs, de porteurs de projets, etc. Le sport (course à pied, trail, randonnée) et le yoga (médiation, exercices de respiration, postures) sont mes excutoires salvateurs. Mes vacances sont rares mais souvent très reposantes mais aussi très sportives en famille. J’ai complètement arrêté l’alcool il y a 4 ans (pas une goutte depuis) et depuis 2 ans je ne mange plus de sucres rapides (desserts, friandises, etc) et ça changé mon corps, mon cerveau, mon sommeil et toute ma vie (spoiler alter : en mieux).
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes qui souhaitent se lancer dans l’aventure startup & entrepreneuriale ?
Le plus important c’est la passion et de proposer un produit/un service qui rend un vrai service à de vrais clients et qui participe aux ODD, le reste pour moi devrait complètement disparaitre ;-) Avec un écosystème d’aide à l’innovation très « aidant », comme c’est le cas en France, et la multiplication des fonds dits « à impact », le risque, et on est en plein dedans, c’est l’effet d’aubaine et la développement d’une multitude de projets soient « hors sujet » qui inventent des besoins au lieu de répondre à des besoins réels, soient identiques et concurrents au lieu de viser à la structuration des filières (c’est ole cas dans l’économie ciruclaire, les circuits courts alimentaires, etc). Au sujet un peu tabou, c’est le « repreneuriat » : pourquoi créer alors qu’il y a plein d’entreprises à reprendre, parce que les dirigeants sont cédants, partent à la retraite ou on des diffcultés financières alors même que ces entreprises existent déjà, qu’elles sont positionnées sur des marchés porteurs, qu’elles ont des clients, des salariés et un pérennité à assurer ? Tout le monde parle de seconde main et de recyclage, on devrait beaucoup plus se poser la question des entreprises de 2ème main ;-) Donc ma recommandation ce serait donc de trouver son secteur/son idée « passion », de bien y regarder à deux fois avant de réinventer la roue et ensutie de passer à l’action.
Le mot de la fin pour résumer cette interview ?
Yallah !
Merci beaucoup pour ton passionnant témoignage, Frédéric, j’ai un grand plaisir à suivre Simplon dans sa belle aventure, et je te souhaite beaucoup de succès ainsi qu’à toutes tes équipes.
Je vous invite, pour poursuivre la (re)découverte de Frédéric Bardeau, à suivre son talk lors du TEDx Panthéon Sorbonne 2021
« La formation professionnelle du futur a toujours existé »
Merci à toutes et à tous pour vos partages et interactions sur ce blog ou mes comptes réseaux sociaux.
Retrouvez également, en cliquant sur ce lien, la précédente interview, celle de Thomas Baignères fondateur de Olvid
Pour la prochaine interview, RDV mi janvier pour découvrir la formidable histoire hors du commun d’une femme française de la tech.
La dernière édition de ma revue de presse #DigitalSquare la n°19 consacrée cette fois ci à la blockchain et au Web 3.0 est accessible via ce lien !
La prochaine sera publiée début janvier et sera consacrée au métavers dans les entreprises
Bonne lecture.
[Copyright photo de bandeau: Frédéric Bieth]
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